La loi de restructuration transfrontalière (directive mobilité)

Le 6 juin 2023, la loi du 25 mai 2023 transposant la directive européenne Mobilité (directive (UE) 2019/2121 sur les transformations, fusions et scissions transfrontalières) a été publiée au Moniteur belge. Avec l'adoption de cette loi, entrée en vigueur le 16 juin, le législateur met le droit belge des sociétés en conformité avec la directive européenne Mobilité.

Nouvelles formes de restructuration

Le législateur a introduit trois nouvelles formes de restructuration :

Fusion entre sociétés sœurs via la procédure simplifiée. Il est désormais possible de réaliser une fusion entre sociétés sœurs par le biais de la procédure de fusion silencieuse (aucune action nouvelle n'est alors émise et aucun rapport d’apport en nature n'est requis). Alors qu'auparavant une fusion silencieuse n'était possible que si la société absorbante détenait 100 % des actions de la société absorbée, la procédure de fusion silencieuse est désormais également applicable si les actions des sociétés qui fusionnent sont détenues directement ou indirectement par une seule personne ou sont détenues dans la même proportion par les mêmes personnes.

Scission partielle disproportionnelle. La possibilité de réaliser une scission partielle de manière non proportionnelle est également prévue. Cela signifie que dans le cas d'une scission partielle, des actions peuvent être émises tant par la société bénéficiaire que par la société scindée et être réparties sans devoir s’aligner sur le pourcentage d’actions détenu par chaque actionnaire avant l’opération. Il est donc possible suite à une scission d'émettre en faveur des actionnaires de la société scindée au choix des actions (i) de la ou des sociétés absorbantes (ii) de la société scindée ou (iii) à la fois de la ou des sociétés absorbantes et de la société scindée.

Scission partielle transfrontalière par séparation. Enfin, la loi prévoit une nouvelle forme de restructuration qui, contrairement aux deux options de restructuration précédentes, ne s'applique qu'au contexte transfrontalier, à savoir la scission partielle transfrontalière « par séparation ». Dans ce cas, une partie des actifs d'une société est transférée, sans être dissoute, à une ou plusieurs sociétés absorbantes ou nouvellement constituées, en échange de l'émission, au profit de la société scindée, d'actions des sociétés absorbantes ou nouvellement constituées. Les actions nouvellement émises dans le cadre de cette opération  reviennent donc à la société scindée elle-même (et non à ses actionnaires, comme c'est le cas lors d'une scission partielle ordinaire).

Dans ce contexte, le législateur pourrait également adapter les définitions des opérations de restructuration à des fins fiscales dans un avenir proche. En effet, les définitions fiscales des opérations de restructuration ont un caractère autonome. Afin d'éviter toute contestation concernant la neutralité fiscale des opérations de restructuration nouvellement autorisées, les définitions fiscales devraient être alignées sur les définitions utilisées dans le Code des sociétés et des associations (CSA). Jusqu'à ce que les définitions fiscales soient alignées sur le CSA, nous déconseillons donc, par prudence, de recourir à ces nouvelles formes de réorganisation.

Assouplissements dans le contexte national

Suite à la modification de la loi, les sociétés souhaitant fusionner ou se scinder peuvent désormais choisir de publier leur projet sur leur site web au lieu de la déposer auprès du tribunal de l’entreprise. Dans ce cas, seules les informations suivantes doivent être publiées au Moniteur belge :
  • pour chacune des sociétés participant à la fusion ou à la scission, la forme juridique, le numéro d'entreprise, la dénomination, l'objet, le siège ainsi que le tribunal du siège de l’entreprise ;
  • un lien hypertexte vers le site web de l'entreprise où le projet de fusion/scission est disponible en ligne et gratuitement.
Enfin, le quorum de majorité pour l’approbation des transformations nationales par l’assemblée générale est réduit à 3/4 des voix (au lieu de 4/5).

Restructuration transfrontalière

La loi du 25 mai 2023 a bien entendu un impact particulier sur les restructurations dans un contexte transfrontalier. Un cadre européen harmonisé a été adopté et les procédures belges applicables en la matière sont alignées sur les dispositions de la Directive Mobilité. Ainsi, le délai minimum entre le dépôt du projet et la décision de fusion, scission ou transformation transfrontalière a été porté à 3 mois, alors qu'il était auparavant de 6 semaines pour les fusions et scissions transfrontalières et de 2 mois pour les transformations transfrontalières. Les procédures relatives aux restructurations transfrontalières mettent en place des garanties particulières pour les actionnaires, salariés et créanciers des sociétés concernées. En outre, le rôle du notaire est renforcé.
  1. Informer les personnes concernées
Une opération transfrontalière nécessite toujours l’établissement d’un projet préalable préparé par les organes d’administration des sociétés concernées qui doit être rendu public (via publication dans le Moniteur belge ou le site web de la société). Les actionnaires, les détenteurs de parts bénéficiaires, les représentants des travailleurs (ou, à défaut, les travailleurs eux-mêmes) ainsi que les créanciers des sociétés impliques dans l’opération doivent être informés qu'ils peuvent présenter des observations sur le projet au plus tard cinq jours ouvrables avant l'assemblée générale qui décidera de l'opération transfrontalière.

Dans chaque société impliquée dans la transaction, l'organe d’administration prépare, en plus du projet, un rapport écrit détaillé destiné aux actionnaires et aux détenteurs de parts bénéficiaires ainsi qu'aux employés, expliquant et justifiant les aspects juridiques et économiques de la restructuration transfrontalière. Il est possible de scinder le rapport en deux rapports distincts, l'un contenant les informations à communiquer obligatoirement aux actionnaires et aux titulaires de parts bénéficiaires et l'autre contenant les informations à communiquer aux salariés.
  1. Rôle du notaire renforcé
Un changement notable par rapport au régime actuel est le renforcement du rôle du notaire qui doit effectuer un contrôle préventif de la légalité interne et externe des actes juridiques préparatoires et des formalités avant toute restructuration transfrontalière. Dans ce contexte, le notaire est tenu de délivrer, avant l'opération transfrontalière, un certificat attestant de l'accomplissement correct des actes et formalités préliminaires.

Pour obtenir cette attestation préalable, la société concernée doit introduire une demande auprès du notaire, après quoi le notaire dispose d'un délai de 2 mois pour mener son enquête et délivrer l'attestation (si tout est correct). Au cours de cette enquête, le notaire peut demander les informations nécessaires à la société et à toute administration concernée, ainsi que faire appel à un expert indépendant.
  1. Droit de retrait pour les actionnaires et les titulaires de parts bénéficiaires
Les actionnaires et les titulaires de parts bénéficiaires qui, dans le cadre de l'opération transfrontalière, acquièrent des actions d'une société étrangère bénéficient d'un droit de retrait. Le droit de sortie est réservé aux détenteurs d'actions et de parts bénéficiaires. Les autres détenteurs de titres n'ont pas droit au remboursement de leurs titres. Le cas échéant, ils pourront toutefois invoquer le droit d'opposition des créanciers.

En cas de retrait, les actions du titulaire concerné seront détruites et il recevra une part de retrait dont le calcul est expliqué par l'organe d’administration dans le projet de restructuration. Le détenteur d'actions ou de parts bénéficiaires qui ne serait pas satisfait de la compensation monétaire offerte par la société peut, dans un délai d'un mois à compter de la date de l'assemblée générale qui décide de la fusion/scission/transformation transfrontalière, la contester et soumettre sa contestation au président du tribunal de l’entreprise.
  1. Protection des créanciers
Pour protéger les créanciers, le projet de restructuration transfrontalière doit indiquer les garanties offertes aux créanciers. Cela concerne les créanciers :
  • dont les créances sont certaines mais non encore exigibles au moment de la publication de la proposition ; ainsi que
  • les créances pour lesquelles une action a été intentée contre la société devant un tribunal ou un arbitre avant cette publication.
Pendant la période d'attente de trois mois, qui commence au moment de la publication du projet, les créanciers qui ne sont pas satisfaits des garanties offertes dans le projet peuvent également demander par écrit à l'entreprise de fournir une garantie supplémentaire. Il incombe alors à la société de donner la suite appropriée. Si le créancier et la société ne parviennent pas à un accord, le différent peut être porté devant le président du tribunal de l’entreprise.
  1. Protection des travailleurs
En ce qui concerne les modalités de protection des travailleurs, la loi ne prévoit qu'une transposition partielle de la directive sur la mobilité, étant donné que les points relatifs à l'information et à la consultation des travailleurs pendant et après l'opération transfrontalière ainsi qu’à la participation des travailleurs étaient déjà partiellement implémentés dans d'autres réglementations.

La législation belge actuelle contient déjà des procédures d'information et de consultation des représentants des travailleurs applicables en cas de restructuration. Son champ d'application étant suffisamment large, on peut y faire appel pour satisfaire aux obligations d'information et de consultation. Par conséquent, la loi du 25 mai 2023 ne fait qu'insérer certaines modalités concrètes d'information et de consultation des représentants des travailleurs en cas de restructurations transfrontalières. Par exemple, en ce qui concerne l'opération transfrontalière, le projet doit indiquer les effets probables sur l'emploi et contenir des informations sur les procédures d'implication des travailleurs dans la détermination de leurs droits de participation dans la ou les société(s) bénéficiare(s) de l'opération.