Taxation des plus-values – Quelle est la valeur des participations minoritaires ?

Comme évoqué dans nos précédents articles, la future taxation des plus-values concernera de nombreux investisseurs et entrepreneurs, qu’ils détiennent des participations majoritaires ou minoritaires. À ce stade, l’accord actuel prévoit qu’en cas de participation significative (au moins 20 % des parts), un montant d'1 million d'euros serait exonéré. Au-delà de ce plafond, la taxation suivrait un barème progressif jusqu’à atteindre 10 % (voir notre article Introduction à la mesure). Il devient dès lors crucial de se questionner sur la valeur d’une participation minoritaire. Leurs actions valent-elles autant que celle des majoritaires, en mesure d’influencer les décisions ?  

Contrôler ou subir : la valeur du pouvoir en entreprise 

En matière d’évaluation d’entreprise, comme partout ailleurs, le pouvoir a un prix. Rappelons que le prix, contrairement à la valeur, résulte d’une négociation influencée par des facteurs liés au contexte transactionnel : les intérêts spécifiques des parties, leur capacité de négociation, l’urgence de la transaction ou encore leur rapport de force (voir notre article Qu’attendre d’un processus d’évaluation).  

Les investisseurs sont généralement prêts à payer davantage pour s’offrir la capacité de décider – c’est ce que l’appelle la prime de contrôle (control premium ou CP). C’est un fait attesté de longue date sur les marchés boursiers. Selon l’étude FactSet/BVR Control Premium Study 2022–2024, ces primes varient entre 26 % et 32 %, ce qui rejoint les chiffres publiés par Mergerstat (entre 30 % et 35 %). 

La décote pour manque de contrôle (DLOC) n’est pas directement observable sur les marchés, mais constitue le pendant négatif de la prime de contrôle. Une prime de 30 %, observée pour un secteur donné, implique, par exemple, une décote (DLOC) de 23 %. De manière générale, les niveaux de prime observés se traduisent par une DLOC comprise entre 20 % et 30 %. Une telle décote reflète l’absence ou la limitation du pouvoir décisionnel au sein d’une entreprise, à savoir, la difficulté d’influer sur les orientations stratégiques ou sur les décisions relatives à la politique de dividendes. Même lorsque certains mécanismes de protection sont prévus, le risque d’une situation pénalisante pour les minoritaires suffit à justifier le recours à la DLOC. En Europe, cette pratique est généralement appliquée lors de transactions ou dans un contexte fiscal. 

Payer ou surpayer : ce que cache la prime de contrôle

Dans les opérations de fusions et acquisitions, les surcoûts payés ne rémunèrent pas uniquement la prise de contrôle de l’entreprise cible. Elles intègrent également les avantages financiers et stratégiques que l’acquéreur espère tirer de l’opération (les synergies). Ainsi, les primes observées sur le marché ne reflètent pas uniquement la valeur du contrôle, et ne peuvent donc pas être utilisées telles quelles pour le calcul de la DLOC.  

Selon une étude récente (The Value of Value Creation, 2020), entre 40 % et 60 % des primes constatées lors d’acquisitions seraient en réalité liées aux synergies, et non au contrôle. La prime de contrôle pure se situerait donc plutôt entre 10 % et 20 %, correspondant à une DLOC comprise entre 9 % et 17 %. Par ailleurs, plusieurs études récentes ont démontré une corrélation entre le niveau de prime et le potentiel d’amélioration de la performance de l’entreprise cible. La DLOC devrait donc être estimée au cas par cas.  

Gérer ou optimiser : la performance au cœur de la DLOC

Ce que l’acquéreur paie en réalité - en plus de la valeur de marché de l’entreprise et des synergies escomptées - c’est la possibilité d’optimiser les opérations, la structure de capital ou encore la gouvernance de l’entreprise cible. L’International Valuation Standards Council (IVSC) souligne d’ailleurs que « les primes de contrôle peuvent être justifiées lorsque l’évaluation est fondée sur la valeur d’utilisation (value in use), c’est-à-dire la valeur qu’un propriétaire capable d’exploiter un actif plus efficacement peut en tirer ». En clair, les primes de contrôle n’est justifiée que si l’acheteur peut raisonnablement espérer des améliorations potentiellement créatrices de valeur. Si l’entreprise fonctionne déjà à plein rendement ou si le coût de mise en œuvre est trop élevé, aucune prime n’est justifiée. Ce point fait aujourd’hui consensus au sein de la communauté académique.  

Le calcul de la valeur en gestion optimale repose sur les niveaux de marges observés dans le secteur ou au sein d’un groupe d’entreprises comparables. Selon le profil de l’entreprise, la médiane -voire, plus rarement, le quartile supérieur - peut servir de référence. Une fois cette valeur optimale déterminée, une DLOC spécifique à l’entreprise évaluée peut être déduite de la prime de contrôle. 

Payer, accumuler ou réinvestir : le rôle des dividendes dans la DLOC

Outre le potentiel de création de valeur, l’actionnaire minoritaire doit pouvoir récolter les fruits de son investissement, sous forme de dividendes ou de plus-value à la revente. Dans ce cas également, la valorisation permettra d’estimer la DLOC.  

Une décote peut être calculée à partir de la différence entre une valeur optimale des fonds propres et la valeur effective. La valeur optimale suppose un taux de distribution « idéal », correspondant à la part des bénéfices qu’une entreprise peut raisonnablement verser à ses actionnaires tout en conservant suffisamment de ressources pour financer la croissance future. La valeur effective est quant à elle fondée sur le taux de distribution réellement observé, appliqué au résultat net anticipé (selon le budget). 

Même dans le cas de dividendes conformes aux usages du marché, l’absence de droits de contrôle implique qu’aucune garantie n’existe quant à leur maintien dans le futur. Ce simple risque justifie, dans de nombreux cas, l’application systématique d’une DLOC minimale. 

Certaines entreprises ne distribuent pas de dividendes, non par choix arbitraire, mais parce qu’elles disposent d'options de croissance plus intéressantes. C’est notamment le cas des jeunes entreprises ou startups/scale-ups, qui privilégient le réinvestissement pour dans le  développement de leur activité. Dans ce cas, l’absence de dividendes n’est pas nécessairement préjudiciable, à condition que la stratégie de croissance soit crédible et qu’un scénario de sortie soit envisagé. 

Optimiser et distribuer : combiner la double dimension de la DLOC

Les leviers du minoritaire sur la gestion et sur les dividendes sont estimés séparément. En pratique, ces effets sont corrélés : il est donc essentiel d’éviter tout double comptage lors de l’estimation de la DLOC.  

Une première approche - théoriquement rigoureuse - consisterait à neutraliser l’interaction via l’application d’un coefficient de corrélation. Toutefois, un tel coefficient reste difficile, voire impossible, à estimer de manière fiable. Une alternative plus pragmatique consiste à estimer les dividendes qui devraient idéalement être versés, compte tenu d’un résultat net d'une entreprise gérée de manière optimale. La différence de valeur entre ce scénario doublement optimisé et la situation actuelle permettrait de définir l’ampleur de la DLOC applicable. 

Protéger ou ignorer : l'impact de la gouvernance sur la DLOC

Au-delà des éléments quantifiables, l’évaluation de la DLOC doit également intégrer des éléments moins tangibles, tels que la gouvernance et la protection des actionnaires minoritaires. 

Le cadre juridique belge offre aux minoritaires un certain degré de protection, mais pas de véritable contre-poids. Par exemple, les actionnaires détenant au moins 10 % du capital peuvent demander l’ouverture d’une enquête judiciaire en cas de suspicion de mauvaise gestion. De même, une décision prise par l’assemblée générale peut être annulée par le juge si elle constitue un abus de majorité. Mais ce cadre juridique reste plus limité que dans certains états américains, où le droit de retrait est largement reconnu. 

Au-delà des mécanismes institutionnels de protection, les statuts de l’entreprise, les pactes d’actionnaires et les règles de gouvernance constituent également des instruments essentiels pour renforcer les droits des minoritaires. Une évaluation rigoureuse de la DLOC suppose donc une analyse qualitative de la gouvernance : composition du conseil d’administration, existence de comités indépendants, clauses statutaires protectrices, obligations d'information, existence de mécanismes de sortie forcée ou conjointe. Le tableau ci-dessous présente à titre indicatif quelques ajustements empiriques pouvant être appliqués à la DLOC initialement calculée sur une base quantitative. 

Niveau de protection 

Risque 

Correction de la DLOC initiale 

Maximum (contrôle) 

Inexistant 

DLOC non applicable 

Elevé (rendements privilégiés, clause de rachats, option put, droit aux dividendes, sièges au CA, etc.) 

Faible (garantie d’accès aux dividendes et décision quant à la gestion) 

Réduction proportionnelle au niveau de protection 

Modéré (pacte d’actionnaires classique, possibilité de coalition entre minoritaires) 

Moyen (les minoritaires exercent une influence mais pas de contrôle) 

Aucune correction requise 

Faible (aucun accord entre actionnaires, actionnariat dispersé, pas de coalition) 

Elevé (dépendance au bon vouloir de l’actionnaire majoritaire) 

Majoration de 5 % à 15 % 

Aucune (détention d’un faible %, actionnariat familial majoritaire, etc.) 

Très élevé (incertitude quant aux cashflows et aux dividendes) 

Majoration de la DLOC au-delà de 15 % 

En conclusion : Adapter et évaluer, la nécessité d’une décote sur mesure

L’application d’une décote pour manque de contrôle est une pratique largement reconnue en matière de valorisation d’entreprise. Toutefois, aucun taux standard ne saurait s’appliquer uniformément. L’ampleur de la DLOC dépend de facteurs propres à chaque société, tels que l’efficacité du management, la clarté de la politique de dividendes, la crédibilité des perspectives de liquidité, ou encore le niveau de protection des actionnaires minoritaires. Elle doit être déterminée à travers un véritable exercice d’évaluation comparative, complété par une analyse qualitative de la gouvernance.  

Dans le contexte de la future réforme fiscale, disposer d'une évaluation précise et défendable des participations minoritaires sera plus que jamais essentiel pour éviter une imposition déconnectée de la réalité économique. 

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